Rapports de flics des 26 juin et 6 juillet 1894, sur l’assassinat de Carnot et l’état d’esprit local

Pour aller plus loin sur l’assassinat de Carnot à Lyon, vous pouvez lire l’article des camarades lyonnais du site d’information rebellyon.

La mise en page (italique, crochets, notes et commentaires sont de mon fait L.B). Texte reproduit par F.L.

« Angers, le 26 juin 1894

Rapport

La nouvelle de la mort de Monsieur le Président de la république a été connue à Trélazé dans la matinée et s’est répandue rapidement sur les carrières. Une dizaine d’anarchistes, parmi lesquels Pironi, sont immédiatement venus à Angers pour avoir des renseignements exacts, qu’ils ont rapportés vers midi, aux compagnons.

L’impression produite par cet abominable assassinat a été diverse1. Les ouvriers honnêtes et non anarchistes se montraient navrés et manifestaient hautement leur douleur, tandis que, parmi les anarchistes, certains, les exaltés tels que Pironi, Arlet, etc… affectaient une indifférence parfaite, disant que « Carnot est homme comme les autres et qu’il ne vaut pas mieux que le carrier écrasé sous un bloc de pierre » ; d’autres, les prudents du clan Ménard se taisaient ou répondaient que « les candidats ne manqueraient pour la Présidence, que ça ne changerait rien à la situation ; qu’il n’y avait pas plus à s’en réjouir qu’à s’en fâcher. »2

En résumé, les chefs se tenaient sur la plus grande réserve ; il semblait même qu’ils éprouvaient la crainte de voir redoubler les mesures de rigueur à leur égard.

C’est le sentiment qui se dégage des conversations qui ont eu lieu hier, tant sur les carrières qu’au cours de deux enterrements où ont assisté la plupart des fendeurs de la Grand’maison.

Le Commissaire spécial.

(signature) »

« Angers, le 6 juillet 1894

Rapport

La situation à Trélazé, continue à être calme, les anarchistes ne se livrent à aucune démonstration extérieure et, même dans leurs cambuses, ils se tiennent sur une certaine réserve, craignant de donner prise à des mesures de rigueur. Ils en sont arrivés à se défier les uns des autres et à ne pas oser dire tout haut qu’ils approuvent l’assassinat de M. Carnot.

Quand ils en parlent, ils évitent de prononcer le nom du malheureux Président, et s’expriment ainsi que le fit, lundi soir, le sieur Pinau [?], en présence du gendarme Guillon : « C’est donc bien vrai qu’il est mort ? -Qui?- -Vous le savez bien!- -Non.- -Il y est tout de même!- » Se gardant bien de tout ce qui pourrait constituer une apologie de crime.

Cela tient évidemment à l’influence de Ménard qui, depuis le procès, ne cesse de recommander à ses amis la plus grande prudence et se tient lui-même sur une réserve caractéristique.

Quant aux anciens inculpés dans le procès d’association de malfaiteurs, leur conduite est réglée par le désir de ne pas se laisser incriminer à nouveau : Mercier affiche la plus grande politesse, saluant les gendarmes et causant avec eux chaque fois qu’il les rencontre pour les assurer de son désir de se tenir désormais en dehors de l’agitation anarchiste. Ce qui ne l’empêche pas de passer presque toutes ses soirées en compagnie de Lelièvre, l’un des anarchistes que je considère comme des plus dangereux qui soient à Trélazé, et de faire quelques visites à Philippe. Il reçoit en outre des lettres venant de Paris.

Guénier, lui aussi se montre déférent envers les autorités, il travaille à la journée tantôt à une carrière, tantôt à une autre, n’ayant pu encore obtenir d’être embauché à la Grand Maison. Il parle de s’établir (comme son oncle Lapierre, qui a fait fortune en déblatérant contre les riches pour vendre sa marchandise aux compagnons), il parle de s’établir charcutier à la Pyramide. En attendant, il fait de longues causeries avec Philippe, matin et soir, et il est douteux qu’avec son caractère sournois et violent, la leçon lui ait profité. On le retrouvera certainement avant peu dans quelques autres affaire anarchiste.

Philippe est celui qui est resté le plus lui-même : tel on le voyait avant le procès, tel on le voit maintenant. Pas plus aujourd’hui qu’autrefois il ne fait d’avance à la police3 ; quand il rencontre un gendarme, il sourit de son air goguenard et passe son chemin.

Comme Guénier habite sur la route de Sorges à la Pyramide qu’il suit matin et soir pour se rendre à son travail ou pour en revenir, il s’arrête un instant chez lui, sans chercher à se cacher, entrant ou sortant la tête haute, rien au monde ne pouvant l’empêcher, dit-il, de voir ses amis.

Il reçoit de fréquentes visites d’un sieur Bertin [1 ou 2 ou identique ?], domicilié à la Maraîchère de Trélazé, qui se tenait éloigné des réunions anarchistes et des groupes, ce qui ne l’empêche pas d’être un convaincu, et un fanatique des doctrines anarchistes. C’est admirateur de Philippe, à tel point qu’il a voulu que ses enfants donnent à celui-ci le titre « d’oncle ».

Mais jusqu’à présent, Philippe est peu sorti, et a plutôt manifesté le désir de rester tranquille et de ne voir que les quelques intimes désignés plus haut, de façon à éviter d’être inquiété.

Le Commissaire spécial

(signature) »

1 On voit bien l’impression des flicards de l’époque, il y a deux principales catégories : les  »honnêtes » qui se laissent tondre sans réagir ; et les malhonnêtes qui sont anarchistes… et dans cette catégorie les  »exaltés » (les pires du coup) et les prudents… et ça on le retrouve de façon plus ou moins prégnante dans les rapports de flics.

2 Honnêtement, est-ce que nos vieux compagnons de jadis avait tord ?

3?

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