L’Églantine Sportive de Trélazé. Le football comme sociabilité ouvrière.

Je souhaite tout d’abord remercier les bénévoles de l’Églantine Sportive Trélazéenne et Monsieur Pantais en particulier pour son formidable travail d’archive. Je souhaite en préambule préciser aussi que cet article ne concerne pas seulement des révolutionnaires angevins, seront évoqués des noms d’ardoisiers ou de cordonniers qui n’ont pas d’attaches particulières avec le mouvement révolutionnaire sinon d’appartenir à un club qui se veut ouvriériste et qui a une conception politique forte.

Il s’agira ici de présenter un club sportif avec de fortes attaches avec le mouvement social et dont la naissance sera saluée dans le monde ouvrier révolutionnaire, preuve en est cet extrait du journal  L ‘humanité datant du 02 octobre 1935 : « Dans les heures graves que nous traversons, quel réconfort de voir les jeunes sportifs se grouper dans un idéal d’amélioration sociale et de fraternité. Ainsi, les rares moments de loisirs des travailleurs ne seront plus exploités par des sociétés cléricales ou bourgeoises. Travailleurs de Trélazé […] soutenez de toute vos forces l’Églantine Sportive Trélazéenne »

La préhistoire du club.

Le club de l’Eglantine naît de la tradition des organisations culturelles ouvrières. A Trélazé, avant la Grande Boucherie de 1914, existait déjà la coopérative de consommation : « L’avenir du prolétariat ». Cette coopérative fondée en 1903 était située rue du Moulin-Malaquais à Trélazé et semble compter 70 sociétaires à ses débuts.

Les coopératives, au même titre que les mutuelles sont le reflet d’une volonté d’auto-organisation et de défense des intérêts de la classe ouvrière.

Pour George LASSERRE, il faut voir la coopérative comme « l’affirmation de la solidarité, (…) avec le devoir d’observer la discipline nécessaire à toute action collective, de ne rien faire contre l’unité, de pratiquer l’entraide. C’est une exigence impérieuse de justice sociale ». Ces coopératives peuvent avoir différentes vocations, il existe des coopératives de constructions, de productions ou de consommation comme par exemple L’avenir du prolétariat à Trélazé ou La Laborieuse à Saumur[1]. L’avenir du prolétariat était une coopérative de consommation (une sorte de centrale d’achat pour prolétaires) mais elle participait aussi à la solidarité avec les ouvriers en lutte. Par exemple, le 23 juin 1931 le journal socialiste et internationaliste Le populaire nous apprend que la coopérative a récolté pour « les grévistes du nord » la somme de 156 Francs.

Pour en revenir au sport, vont naître de L’avenir du prolétariat, une section de Gymnastique (voir photo) ainsi qu’une section de football qui portent le nom de « jeunesse ouvrière coopérative ». Le club de football jouait alors sur un terrain situé sur le lieu-dit des Roncières aux Ponts-de-Cé.

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La situation dans l’entre deux-guerre.

En 1920, sous le patronage de l’Eglise est crée l’Espérance de Trélazé, mais bien vite, le curé va dissoudre le club car il se rend compte que ses ouailles préfèrent aller taper dans le ballon plutôt que d’assister aux Vêpres.

En 1924, l’abbé Jollec, aumônier breton des Ardoisières va monter (avec l’accord des patrons des Ardoisières) un club nommé « les gars d’Armor » (en référence à la forte diaspora bretonne aux Ardoises). Quelques syndicalistes jouent dans le club, mais pour eux, il devient de plus en plus dur d’enterrer leurs convictions anticléricales et anti-patronales.

1er Mai 1935, une date symbolique pour acter la naissance du club.

 

Bientôt les curés n’auront plus le monopole du foot, certains ne supportent plus les remarques de leurs camarades qui leur reprochent de « jouer aux côtés des calotins ».

En 1935, deux perreyeux des ardoisières des Fresnayes (Fresnaies), Thomas SAEZ et René Lamandé (dit Le Pape) lancent l’idée d’un club ouvrier.

Les deux perreyeux travaillent l’un à coté de l’autre aux ardoisières, et c’est le soir, au café-épicerie de la femme de René Lamandé que les deux hommes se réunissent pour discuter de la naissance du club. Ensemble, ils rédigent une convocation dont voici le contenu : « Cher Camarade, René Lamandé et Thomas Saez voudraient former une équipe de football ouvrier. Nous te convions à la réunion préparatoire qui aura lieu à 18h salle de la coopérative l’avenir du prolétariat ». Il faudra deux soirs à Thomas Saez pour distribuer en vélo les 20 convocations. Tous les convoqués répondront présent à la réunion qui annoncera la naissance du club.

Il faut préciser qu’il n’y avait pas seulement des ouvriers de convoqués puisque lors de cette réunion, il y a trois instituteurs de la Maraichère (ou Maréchère suivant les sources): Yves AUFFRET, Robert SALLENAVE, et Clément STEPHAN (dit L’Stef, par ailleurs caricaturiste). Ces trois instituteurs étaient amis avec Lamandé (Le Pape) et SAEZ, ils se réunissaient tous les jeudis à 9 h devant la cabane de Lamandé sur la butte des Fresnaies pour casser la croute et taper le carton.

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C’est le mercredi 1er Mai 1935, après le défilé de la journée internationale des travailleurs que va se tenir la réunion actant la création du club. Elle prend place dans la salle de réunion de la coopérative L’Avenir du Prolétariat.

Sont présents :

  • Les Perreyeux : René Lamandé, Thomas Saez, Raymond Sciry (Seiry ?) , Georges Clavreul, Gilbert Valy, Job Coraller, Francois Douguet, Georges Rigoulot (Rigoulet ?), Désiré Lejuge et Joseph Lejuge.
  • Les allumettiers : Marcel Callot, Pierre Lucantoni, Francois Quiniou (père), Mathias Augés, Fernand Thomas.
  • Les instituteurs Yves AUFFRET, Robert SALLENAVE, et Clément STEPHAN, Henri Dufour, Fernand Fortin et Madame Reynaud (directrice de l’école de filles de la Maraichere)
  • Le cordonnier : Armand Drouineau.
  • Le secrétaire de mairie : Marcel Bouleau.
  • Le gérant de la coopérative : François Paumard.

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C’est lors de cette réunion et sur proposition de Marcel Bouleau qu’est décidé le nom du club : L’Églantine Sportive Trélazéenne.

Il s’agit de faire référence à l’églantine rouge que portait les ouvrier-es à leur boutonnière lors des manifestations du 1er mai. Cette fleur a connu son âge d’or pendant les années 1920 et 1930, la police surveillait alors les contestataires « la boutonnière fleurie »[2].

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Les choix de la date et du nom imposent tout de suite la teneur ouvriériste et révolutionnaire du club.

Lors de la seconde réunion qui se tient le 25 juin 1935, toujours à la salle de Coopérative, sont définis[3] :

Les statuts : entre le siège fixé à la coopérative L’avenir du Prolétariat, le choix de la cooptation pour les nouveaux membres, et on y apprend aussi que le club n’est pas dirigé par le président, mais par une commission nommée pour un an par l’assemblée générale . Le président a seulement pour rôle majeur de convoquer les commissions.

Le premier bureau :

Président : René Lamandé, Fendeur d’ardoise, Plein-Pont, Trélazé

Secrétaire : Drouineau Armand, Cordonnier, Cité du bois, Trélazé.

Secrétaire-adjoint : Bouleau Marcel, secrétaire de mairie, Trélazé

Trésorier Coroller Job, Menuisier, 17 rue de la Victoire, Trélazé

Trésorier-adjoint, Auffret Yves, instituteur, la maraîchère, Trélazé

Secrétaire sportif, Stéphan Clément, instituteur, la maraîchère, Trélazé

Commission administrative : Robert Sallenave, Pierre Lucantoni, Marcel Collot

Les couleurs : le rouge et le vert.

Les choix sportifs : le club se donne pour objet « l’éducation physique, morale et sociale des travailleurs qui la constituent ». Le club ne se limite donc pas au football, il contient aussi en son sein du cross-country, du water-polo, de la gymnastique et du cyclotourisme avec les « cycles rouges » animés par Désiré Lejuge.

Le club va s’affilier à la FSGT[4] (La Fédération Sportive et Gymnique du Travail est une fédération omnisports créée en 1934 par fusion de la Fédération sportive du travail proche de la Section française de l’internationale communiste et de l’Union des sociétés sportives et gymnique du travail proche de la Section française de l’internationale ouvrière. Elle est affiliée à la Confédération sportive internationale du travail).

En ce qui concerne le football, les dirigeants refusent d’adhérer au comité départemental de football car les ouvriers ne veulent jouer sur les mêmes terrains que les clubs crées par les patrons ou les curés (par contre le club adhère à la FFF dès décembre 1935) . L’Églantine se contentait donc de jouer contre les autres clubs affiliés à la FSGT dans la région (Sporting Club ouvrier Chantenaysien, CS Jean Jaures, US Montagnarde, USO Imprimerie Nantes, ASO Nantes). Le club joue aussi dans quelques tournois amicaux bien choisis. (Comme les tournois du 1 er mai par exemple).

Les matchs se jouent sur un terrain dans le quartier de la « petite-bretagne ». Ce sont les membres du club qui vont tracer le terrain, fabriquer les poteaux, monter une buvette. Au départ il n’y avait pas de vestiaires (les joueurs se changeaient dans le hangar du café Hervé), il n’y aura jamais de point d’eau : les joueurs se lavaient dans les fossés jouxtant le terrain.

Quel type de financement ? Contrairement « aux gars d’Armor » qui bénéficiait de l’argent de la commission des ardoisières, l’Églantine doit s’auto-financer. Bouleau fera une demande de subvention à la mairie, mais le premier-adjoint Georges Rigoulot refusera sous prétexte qu’on ne donne pas d’argent « pour taper dans la lune ». Alors, les caisses se remplissent grâce aux cotisations des joueurs et dirigeants, les entrées au stade, la buvette, les bals, fêtes, concours de pronostics, vente de pochette surprise, tombolas. Il n’y a pas de sponsors privés.

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Listes des membres pour le football.

Membres actifs

Augès Thomas

Bozec Francois : arbitre

Dufour Henri

Fortin Fernand

Graindorge Raymond

Joncour Pierr

Lejuge Joseph

Paumard

Quiniou Francois (pere) : responsable des entrées et buvette

Douguet Francois (pere et fils)

Rigoulot georges responsable buvette

Madame Reynaud

Saez Thomas

Thomas Fernand

Valy Gilbert responsable buvette

Lejuge désiré

Madame Vilette

Lebreton Christian

Nedelec Yvon : arbitre

Lucantoni responsable des équipements.

Les joueurs pour la saison 1935-1936

  • Arlet Auguste
  • Alcorta (réfugié espagnol ou immigré espagnol)
  • Auffret yves
  • Caouren Francis
  • Clavreul Georges
  • Delgado (réfugié espagnol ou immigré espagnol)
  • Dialand Lucien
  • Echezar Eustachio (réfugié espagnol ou immigré espagnol)
  • Echezar Lorenzon (réfugié espagnol ou immigré espagnol)
  • Echezar Agustin (réfugié espagnol ou immigré espagnol)
  • Failler Ysidor
  • Gil Thimothéo
  • Guéneux
  • Garaté Yvon
  • Guéguain Francois (ancien des gars d’Armor)
  • Joncheray
  • Lemoal Joseph
  • Lamandé rené (fils)
  • Maingot
  • Navau
  • Paumard Raymond
  • Pavy
  • Perez
  • Pasquiet Pierre
  • Philippe Joseph
  • Peron
  • Robert Julien
  • Sevry Raymond
  • Sevry Gustave
  • Stéphan Clément
  • Saez Thomas (ancien des gars d’Armor)
  • Subram
  • Tanguy Roger
  • Tromeur Marcel
  • Villette Paul

 

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[1] Marais Jean-Luc, Le Maine et Loire aux XIXème et XXème

[2] C’est sous le régime de Vichy que la rouge églantine va laisser définitivement sa place au muguet blanc.

[3] Source : AD. Déclaration de constitution d’une association O5/10/1935. Parution au JO le 24/10/1935.

[4] N’hésitez pas à consulter l’excellent ouvrage préfacé par  Danielle Tartakowsky, Nicolas Ksiss (Dir.) La FSGT : Du sport rouge au sport populaire, Paris, La ville brûle,‎ 2014, 230 p.