Le Front Populaire en Maine-et-Loire avant, pendant, après 1934-1938

 Christine Levisse-Touzé

Le Front Populaire en Maine-et-Loire avant, pendant, après 1934-1938 1

Dans : Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest. Tome 85, numéro 1, 1978. pp. 95-113.

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/abpo_0399-0826_1978_num_85_1_2925

Avant d’entreprendre l’étude même du Front populaire en Maine- et-Loire, il importe de brosser un portrait de ce département tant sur le plan économique que politique. Il importe de voir comment ses structures propres, ses caractères ont pu déterminer et expliquer certaines réactions. Il est primordial de se poser la question suivante : le terrain a-t-il été propice à la réception d’idées de gauche ?

En marge, le Maine-et-Loire l’est incontestablement sur le plan économique et politique. Par sa structure même, c’est un département à dominante rurale. La population rurale représente 61 % de la population totale. Le département est à l’écart des grands axes industriels, et l’extrême diversité de ses régions surprend toujours les économistes et les politologues de l’époque. L’agriculture y tient une grande place, mais pendant la première moitié du XXe siècle, elle a déjà évolué en perdant en grande partie son métayage, il persiste seulement dans le Segréen. Or ceci a des conséquences politiques. Il est bien notoire que l’implantation d’idées de gauche en milieu rural est fort difficile. Le paysan angevin surtout s’il est Choletais ou Segréen est dans son ensemble réfractaire à toute idée nouvelle. Pourtant la question de régime ne se pose plus. Plus réactionnaire au sud de la Loire, dans le Choletais et les Mauges, ils sont par contre plus avancés dans le nord du Saumurois et dans le Baugeois. La distinction essentielle s’établit entre la plaine — Baugeois et Saumurois — et le bocage — Segréen et Choletais — . La frontière politique suit le cours du Layon au sud et au nord, la Sarthe.

Cette région traditionnelle à vocation agricole ne laisse guère que la portion congrue aux industries. A Angers, tout d’abord, l’entre prise Bessonneau qui règne sur l’économie pendant de longues années, dans les Mauges, l’industrie textile et l’industrie de la chaussure dominent. Mais l’Anjou est aussi un pays minier avec les ardoisières de Trélazé, les mines de fer de Segré et de Chazé-Henry. Pour compléter ce décor économique, il faut encore noter l’existence des distilleries Cointreau, les champignonnières dans le Saumurois et le lancement de la champagnisation du vin.

Malheureusement, la crise de 1929 est cruellement ressentie en Anjou qui vit au jour le jour avec du chômage et des cortèges de lamentations.

Les transformations économiques et sociales favorisent la naissance d’un embryon de mouvement ouvrier dans les milieux ardoisiers et textiles au cours de la deuxième moitié du XIX e siècle. La révolution de 1848, soulève un immense enthousiasme parmi la population ouvrière de Cholet et des centres ardoisiers. L’insurrection des perrayeurs lancée en 1855 par les dirigeants d’une société secrète « La Marianne » fut suivie de lourdes condamnations après la prise de la gendarmerie de Trélazé et la Marche sur Angers.

Vers 1890, l’opposition ouvrière se partagea entre les groupes anarchistes, relativement importants à Angers-Trélazé et socialistes implantés surtout à Cholet.

Que le Maine-et-Loire ait été un des plus solides bastions de la droite conservatrice et cléricale, F. Goguel dans « sa géographie politique des élections françaises de 1870 à 1951 » et A. Siegfried «dans son tableau politique de la France de l’Ouest » l’ont montré chiffres et cartes à l’appui. Mais les deux observateurs diffèrent dans leurs explications du phénomène, le premier faisant porter l’accent sur le problème religieux alors que A. Siegfried fait porter l’accent sur la propriété. Cependant, on aurait tort de penser que l’histoire de la vie politique en Maine-et-Loire se tient tout entière en image d’Épinal. De même qu’on aurait tort de penser qu’elle se tient depuis un siècle et demi dans un monolithisme où les esprits auraient été façonnés d’un seul bloc par les structures mentales issues de la terrible insurrection vendéenne. Cette image serait erronée. Les habitants de la vallée d’Anjou, du Saumurois, du Baugeois sont restés en marge du mouvement.

Cela dit la droite, sous des étiquettes différentes, monarchiste, cléricale ou simplement catholique, nationaliste ou conservatrice l’emporte constamment en Maine-et-Loire avec des majorités massives, lors des scrutins de la IIIe République. Les incidences sociales de la crise économique, l’importance des événements politique de 1934 à 1938, les législatives de 36 ont-elles interrompu cette tradition ?

C’est ces différentes questions que nous tenterons d’élucider.

I. LA CONSTITUTION DU FRONT POPULAIRE EN MAINE-ET- LOIRE

Le Front populaire est incontestablement complexe quant à ses origines. Ne sont-elles pas à rechercher dans les éléments d’union ?

Deux éléments se dégagent :

La crise économique : peut-elle expliquer le ralliement au Front populaire ?

La crise républicaine que concrétisent les événements parisiens du 6 février 1934 ?

Il importe donc d’analyser dans un premier temps les répercussions la crise économique tant au niveau agricole qu’industriel, de mais également au niveau social et politique.

  1. Les répercussions de la crise économique en Maine-et-Loire

dans l’agriculture

La crise se traduit par une chute brutale des prix des produits agricoles : ex. Bœuf de 1930 à 1935 baisse de 64 %2. Porc de 1930 à 1935 baisse de 66 %. Blé de 1930 à 1935 baisse de 58 %.

Grands propriétaires, petits propriétaires, fermiers, métayers, tous sont touchés par la crise et leur situation est précaire. Pour se défendre contre la crise générale, ils sont contraints à réduire leurs dépenses. 1935, est la première année où l’agriculture en Maine-et- Loire ne réalise aucun bénéfice. Avec les difficultés économiques, on voit se dessiner chez certains un léger glissement vers la gauche.

Les paysans qui jusqu’ici votaient à droite, auraient-ils maintenant tendance à voter à gauche ?

dans l’industrie et le commerce

Le chômage partiel n’a jamais cessé à Angers dans les années folles, pourtant après avoir diminué, il se renforce à l’automne 1930 et s’étend à l’ensemble des principales activités locales. Dans la plupart des professions les horaires de travail sont réduits. C’est le chômage partiel qui se traduit par des salaires moindres (ouvriers ardoisiers, filatures, fabriques de chaussures).

Au printemps 1931, la bourse du travail réclame l’aide financière de la municipalité. Proposée au conseil municipal, la création d’une caisse de chômage est acceptée le 16 avril 1931. Elle n’entre dans les faits que le 23 novembre 1931. La ville alloue 7 francs par jour à chaque chef de famille contraint de chômer et 18 F par ménage. (Alors que Saumur alloue 25 F par ménage.)

Au début de 1932, des soupes populaires sont ouvertes aux chômeurs et fonctionnent dans divers quartiers de la ville jusqu’en 1934. La municipalité ouvre aussi des chantiers municipaux où les travailleurs gagnent 25 francs par jour à des travaux de voirie. En Maine-et-Loire, la crise industrielle reste inférieure à celle du commerce et de l’artisanat comme tend à le prouver le nombre de faillites et de liquidations judiciaires, prononcées par le tribunal de commerce d’Angers. Ce sont les petites entreprises qui sont les premières touchées (1932 : 52, 1933 : 61, 1934 : 64, 1935 : 55) 3.

Les conséquences sociales et politiques de la crise sont import antes. Au second tour des législatives en 1932, l’avocat Émile Perrein est élu dans la circonscription d’Angers.

En 1934, les difficultés économiques s’atténuent ; les affaires reprennent progressivement. Aussi en septembre 1934, la municipalité supprime la caisse.

1934 est donc une année importante sur le plan syndical puisqu’elle prélude à la réunification du mouvement ouvrier, condition première d’un nouvel essor des organisations politiques et corporatives de la classe ouvrière.

  1. Les répercussions du 6 février 19344

Si brutal qu’ait été l’affrontement, ce fut pour la majorité des Angevins une surprise que d’apprendre ces tragiques nouvelles, le 7 février au matin. La plupart n’ont rien pressenti de ce qui allait se passer. La section départementale de la S.F.I.O. par l’intermédiaire de son organe de presse l’Effort social commente ainsi les événements : « Le scandale Stavisky date du règne des droites. » La tentative du 6 février 1934 a joué le rôle de révélateur. Et dans les événements qui vont suivre le politique précède le social.

Cette crise du 6 février était le coup de semonce qui secoue la torpeur ouvrière dans laquelle, ils étaient plongés depuis la scission de 1921 et donne conscience à ses dirigeants de la nécessité qu’il y a pour le mouvement ouvrier, si l’on veut conserver l’essentiel des libertés conquises dans le passé, de réaliser « l’unification de toutes les forces antifascistes ».

Pourquoi la province a-t-elle réagi aux événements parisiens ? Le 7 février, la C.G.T. a envoyé à toutes ses unions départementales, le télégramme suivant5 :

« Alerte, tenez-vous prêts à toute action sur mot d’ordre confédéral. » La C.G.T. décrète la grève générale pour le lundi 12 février, et déclare : « Tous debout pour le lundi 12 février pour la défense de nos libertés publiques et de nos droits contre le fascisme et la dictature que l’on tente de nous imposer. »

Cette grève s’annonce donc déjà comme une grève politique. En Maine-et-Loire, il ne semble pas qu’il y ait eu de discussion au sein de la S.F.I.O. et du Parti communiste quant à leur participation à la grève générale. D’emblée, parti socialiste, parti communiste, C.G.T., C.G.T.U., acceptèrent de manifester à côté de leurs frères ennemis respectifs de la veille.

  1. La journée du 12 février 1934 ,

a pour but de faire contrepoids au 6 février. Dans le département la grève a revêtu une grande ampleur, et elle a eu un large écho parmi la population ouvrière. Le 12 février à l’appel de la C.G.T. 2 000 à 3 000 personnes ont manifesté (moitié ardoisiers et allumettiers de Trélazé, moitié de cheminots, postiers, enseignants et ouvriers du livre).

La grève n’a pas fait l’unanimité du prolétariat, mais si elle n’a pas été un succès total, elle n’est pas non plus un échec. Le nombre de manifestants varie selon les sources : de 1200 à 1500 personnes6. Toujours est-il qu’elle a revêtu un caractère assez exceptionnel pour étonner les contemporains.

« C’est la première grande grève avec manifestation de rue et de surcroît, c’est la première grève politique à Angers depuis 1920. 7 »

Quels sont les éléments qui ont déterminé ce succès imprévu ? Trois facteurs paraissent avoir joué un rôle déterminant :

Le point de départ de ce renouveau populaire est le 6 février 1934 qui a catalysé le mécontentement général ;

Le syndicalisme est apparu comme une force d’ordre le 12 février ;

Une réaction de défense républicaine.

Pour la première fois depuis la scission de 1921, militants cégétistes et unitaires S.F.I.O. et communistes sont au coude à coude. Certes tout le prolétariat du département ne vibre pas à l’unisson, mais l’image du futur rassemblement populaire commence à se préciser dès le 12 février 1934. Les jalons de l’union sont jetés. Cette grande grève a des conséquences immédiates et positives. Les effectifs syndicaux croissent. Le nombre d’adhérents de la C.G.T. dépasse 8 000.

Mais cette union des forces de gauche qui s’est manifestée le 12 février 1934 a-t-elle connu une gestation difficile ?

  1. La longue marche vers l’unité

Qui tente un rassemblement ? Le 17 février la S.F.I.O. lance un appel à l’unité. Elle invite cégétistes, unitaires, socialistes et communistes à s’efforcer à maintenir intact le bloc soudé par le danger. C.G.T. et S.F.I.O. conjuguent leurs efforts et œuvrent dans le même sens vers l’unité. Pourtant des obstacles demeurent. La C.G.T. qui se réunit aux États généraux du travail divulgue son plan d’action. Le parti communiste qualifie son plan de « fasciste », et la réunion prévue par la C.G.T. le 8 avril à Paris ne peut avoir lieu. L’union départementale des syndicats confédérés de Maine-et-Loire par l’intermédiaire de son organe le Réveil des travailleurs réagit violemment :

« Par cette provocation, le parti communiste et la C.G.T.U. ont jeté bas le masque. Ils étaient déjà le 6 février 1934 place de la Concorde aux côtés des fascistes. Une nouvelle fois, ils rejoignent les adversaires des libertés publiques. »

Malgré cet incident S.F.I.O. et C.G.T. poursuivent leurs efforts. Elles entendent favoriser l’unité et les discussions par la multiplication des rapprochements dans des actions communes avec les communistes. Elles entendent en outre neutraliser la masse flottante qui sans opinion peut aussi bien basculer à droite qu’à gauche. Pour cela, elles disposent respectivement de deux organes de presse en Maine-et-Loire — l’Effort social : S.F.I.O., le Réveil des travailleurs : C.G.T. C’est donc surtout à coups d’articles polémiques que se joue le rassemblement populaire. Par le biais de ces événements, le syndicalisme en Anjou va franchir son stade décisif. La C.G.T. entend diffuser son plan d’action dans les campagnes (celui-ci repose sur la réduction du temps de travail, l’organisation de grands travaux, l’établissement d’un régime économique assurant à tous une existence décente). Chaque dimanche deux conférences sont organisées par l’union départementale dans les communes rurales les plus importantes, pour la diffusion de son plan d’action. Ceci est important,car jusqu’alors la population rurale du département n’a jamais été touchée par l’action syndicale.

Parallèlement la droite réagit. Par ses effectifs, elle est importante en Maine-et-Loire8:

Section

d’Angers

Section

de Saumur

Section

de Cholet

Action française

50 membres

400

500 membres

Croix de feu

1.500 membres

400

100

En outre, il est bien difficile d’évaluer l’influence de Henry Dorgères en Maine-et-Loire et de son « Front paysan ». Néanmoins, cette action existe puisque Henry Dorgères dans son récit Au temps des fourches fait mention d’une grande manifestation à Angers organisée par l’Union des syndicats groupant 20 000 paysans.

L’Union républicaine démocrate organise une réunion le 30 avril 1934 et y invite Xavier Vallat : celui-ci fait le procès de la franc- maçonnerie qu’il représente comme un super état dans l’État et la cause indirecte des graves difficultés dont souffre le pays. Le programme de la droite est de suivre la politique du président Doumergue dans son œuvre de redressement national.

Tout au long de cette année, l’unité apparaît difficile puisque les syndicats unitaires réclament l’unification à l’intérieur de syndicats uniques. La pierre d’achoppement entre C.G.T. et C.G.T.U. est la revendication de cette dernière de réaliser la fusion dans des syndicats uniques. Or, le comité confédéral condamne formellement cette formule.

C’est dans cette atmosphère de tension qu’interviennent les élections cantonales des 7 et 14 octobre 1934. Sur 38 sièges à pourvoir, 31 reviennent à la droite et 7 au Parti radical. Mais à l’examen de la répartition géographique une frontière très nette se dessine en Maine-et-Loire. La géographie des élections apparaît clairement. La droite exerce indubitablement son ascendant sur le Segréen (U.R.D. et Républicains modérés obtiennent 79 % des voix) et le Choletais (96 %). Au contraire, si dans le Baugeois et le Saumurois, la gauche n’est pas majoritaire, elle occupe une place confortable. Elle obtient respectivement dans le Baugeois et le Saumurois, 43 % et 34 % 9.

  1. Vers le rassemblement populaire

Tout au long de 1935, cette volonté d’unité est manifeste tandis que les ligues se font provocantes, les groupements de gauche organisent la riposte. Le 13 avril pour la première fois, la section du Parti radical socialiste de Maine-et-Loire réagit et tient une réunion au cours de laquelle, un appel est lancé à « toutes les forces démocratiques en vue de lutter contre les adversaires de la République contre le mouvement fasciste ». Il semble que l’offre de M. Thorez du 9 octobre 1934 en faveur de l’alliance avec le Parti radical ait porté ses fruits.

Mais n’est-ce pas aussi la proximité des élections municipales qui semble réveiller le Parti radical ?

A Angers, Segré, Cholet, l’Union de la droite l’emporte avec des majorités respectives de 52 %, 67 %, 67 %. Au contraire, l’Union de la gauche l’emporte à Baugé et Saumur avec 52 % et 58 % 10.

Entre temps, à Paris, le 2 mai est signé le pacte franco-soviétique. Les réactions de la presse en Maine-et-Loire ne sont pas celles que l’on aurait pu attendre. Les journaux suivants, le Cri de la doutre (droite), le Réveil des travailleurs (C.G.T.), le Réveil (Parti radical), l’Effort social (S.F.I.O.) ne font pas même mention de la signature du pacte. L’intérêt de la presse se manifeste bien souvent pour la petite actualité. Au cours de cette période, on ne peut manquer d’être frappé par la place que la politique internationale tient dans la presse. Au cours de ces années, elle est presque totalement éclipsée par les préoccupations de politique intérieure. L’une des seules réactions est celle du Petit Courrier (droite modérée) le 7 mai 1935 :

« … Ceux qui ont souffert de quelque manière de la défection russe après la Révolution bolchéviste ou la répudiation des dettes d’avant- guerre, ne peuvent envisager notre alliance déclarée avec ce pays sans un sentiment d’hésitation compréhensible et bien légitime. Et cependant à ce sujet, il est étrange de constater comment au cours de l’histoire contemporaine notre accord ou notre désaccord avec la Russie a eu sur le sort de notre pays une influence capitale. »

La C.G.T. intensifie son action. Au congrès élargi qu’elle organise le 23 juin 1935, elle rappelle son plan d’action. La C.G.T.U. qui y assiste, manifeste pour la première fois son approbation sur les points essentiels de ce plan. Un revirement sensible s’est produit. Cette unité est concrétisée par la manifestation du 14 juillet 1935. Un grand défilé de rassemblement populaire a lieu pour la défense de la République. Toutes les formations de gauche y sont représentées : jeunesses syndicalistes, socialistes, communistes confondues. Le rassemblement est impressionnant, plusieurs milliers de participants, tous attachés à la République voulant s’affirmer et résolus à la défendre. Le 14 juillet passé, il n’était pas possible de ne pas continuer l’effort entrepris. Cet esprit de lutte se manifeste de nouveau avec l’annonce des vingt-sept décrets-lois. Et cette unité sur le terrain, finit par entraîner à Angers un congrès élargi groupant trois cents délégués et qui tient ses assises le 22 décembre 1935 à la Bourse du travail. L’incompatibilité s’étendant à tous les mandats politiques est acceptée par le congrès. On tombe d’accord et le 26 janvier 1936, un congrès réalise la fusion syndicale en Anjou. La question des statuts est réglée et finalement le titre de « l’Union départementale des syndicats ouvriers et employés de Maine-et-Loire » est voté.

L’unité politique se réalise et le bureau départemental du Rassemblement populaire se constitue le 6 février 1936. Les organisations de gauche représentées sont les suivantes :

  • Combattants républicains : secrétaire général, Louis Imbach.

  • Syndicaliste : secrétaire adjoint de la propagande, Louis Berton.

  • Comité de vigilance des intellectuels antifascistes : secrétaire adjoint administratif, Mussat.

  • Amsterdam-Pleyel : trésorier, Bernard.

  • Droits de l’homme : trésorier adjoint, Vitré.

En conclusion, dans les rassemblements politiques qui se sont effectués, les facteurs politiques ont été déterminants. L’alliance nouée a d’abord été une alliance défensive pour le maintien des libertés essentielles. Mais les facteurs économiques issus de la crise n’en ont pas moins joué un rôle.

  1. LE TEMPS DES ILLUSIONS : MARS 1936 – DÉCEMBRE 1936

     A. Les élections législatives (26 avril-3 mai 1936)

Au cours de la campagne électorale, on peut entendre à satiété les mêmes slogans : « La France forte, libre et heureuse », chère aux communistes, « pain, paix, liberté » chers à tous les candidats, « la défense des libertés républicaines contre le fascisme » chère aux radicaux. Mais ce qui frappe le plus, c’est l’attaque contre les deux cents familles. Le rôle de la presse dans la campagne électorale en Maine-et-Loire est déterminant. Pour les partis de gauche, nous ne disposons guère que de l’organe du Parti radical le Réveil. La bataille s’engage très rapidement. La montée de la gauche crée évidemment des réactions. Ainsi les démocrates chrétiens (catholiques de gauche) entendent-ils intervenir mais sans se placer directement dans le camp des opposants. Albert Blanchoin, invité à une réunion politique organisée par la section socialiste de Segré, adresse une lettre que l’Éveil segréen reprend (le 12 février 1936) : « Je ne suis pas socialiste … Mais j’estime que le danger est infiniment plus pressant du côté du fascisme que du côté du socialisme et du communisme. C’est pour quoi j’ai été de ceux qui ont accueilli l’idée d’un vaste rassemblement populaire destiné à barrer la route aux entreprises factieuses. Sur ce terrain, je suis tout prêt à collaborer avec les socialistes. » Il revendique en outre « les droits des chrétiens à être partant, à condition de rester partant libre ». Albert Blanchoin entraîne donc les adhérents du parti « Jeune République » dans un soutien avec « un oui mais » au Rassemblement populaire.

La droite, elle, ne se pose pas de problèmes. Elle entre même tout droit dans la polémique, et un journal comme le Cri de la doutre publie le 14 mars 1936, une violente diatribe contre les radicaux- socialistes. Pour l’éditorialiste du journal angevin les radicaux socialistes sont les véritables responsables de la remilitarisation allemande en Rhénanie et des audaces de Hitler. La droite, c’est évident, est déçue et inquiète même devant les panneaux électoraux : « C’est une bien attristante et décevante lecture que celle de la prose qui s’étale sur les murs de toutes les villes et de tous les villages de France. »

Les forces de gauche quant à elles, multiplient les réunions à la veille des élections. Le 1er mars le C.V.I.A. invite Paul Rivet. C’est la première réunion du Rassemblement populaire, ce qui a fait dire à Mussat, secrétaire général du comité : « Même à Angers, il y a quelque chose de nouveau. » Paul Rivet dénonce la politique de déflation de Laval. Derrière lui, l’Assemblée réclame la dissolution des ligues. Le 15 mars, c’est Edouard Daladier qui est invité par le député radical- socialiste du Baugeois, Jean Hérard. Daladier s’adresse aux cultivateurs : « Je tiens à vous saluer hommes du sol qui faites partie de ces classes moyennes honneur de notre pays qui à travers les siècles, avez contribué à la grandeur de la patrie. »

Mais si l’attention est surtout polarisée par la campagne électorale,le coup de poker de Hitler en Rhénanie ne passe pas inaperçu. Le Rassemblement populaire insère dans le Réveil du 21 mars 1936, la déclaration suivante : « Le comité s’élève contre le coup de force de la dictature hitlérienne, violation unilatérale d’un traité librement signé. »

C’est donc dans ce climat qu’interviennent les élections législatives les 26 avril et 3 mai 1936 11.

Au premier tour, aucun résultat n’est acquis au Front populaire sauf peut-être A. Blanchoin, candidat Jeune République élu au premier tour dans le Segréen avec plus de 2.000 voix d’avance sur le candidat d’extrême-droite. Faut-il le considérer vraiment comme un élu du Front populaire ? La droite, elle, enregistre trois succès :

dans la deuxième circonscription d’Angers, A. Cointreau est élu avec plus de 6.000 voix d’avance sur le candidat radical-socialiste ;

dans la première circonscription de Cholet où F. de Polignac est élu avec une très forte majorité : 75 % ;

dans la circonscription de Saumur, où R. de Grandmaison est élu avec une très importante majorité : 75 %.

Au second tour, la grande surprise est la défaite de J. Hérard (radical) dans la circonscription de Baugé qui pouvait être considérée comme un foyer radical. Battu par le candidat de droite, il semble que ce soit des raisons d’ordre personnel qui ont joué.

Emile Perrein, candidat du Front populaire est élu dans la première circonscription d’Angers avec seulement 100 voix d’avance sur le candidat de droite. En fait, il est difficile de dresser un bilan politique très précis. Les étiquettes des candidats varient selon que l’on se réfère aux déclarations officielles de candidature, à la presse locale, aux résultats des élections proclamées par le ministre de l’Intérieur. En fait, la seule référence est le Journal officiel du 9 juin 1936. Les étiquettes correspondent à l’intitulé des groupes parlement aires auxquels les nouveaux élus s’affilient.

La répartition des sièges peut s’établir comme suit 12:

1) LA DROITE SOUS CES QUATRE ÉTIQUETTES

Parti républicain national : un siège à Cholet (deuxième circonscription).

Républicains indépendants, d’Action sociale et Groupe indépendant : trois sièges à Cholet (première circonscription), Saumur, Angers (deuxième circonscription).

Alliance des républicains de gauche et radicaux indépendants : un siège à Baugé.

2) LA GAUCHE SOUS CES DEUX ÉTIQUETTES

  • Gauche indépendante – Jeune République : Segré.

Parti radical-socialiste : un siège dans la première circonscription d’Angers.

Ainsi la droite, regroupée sous quatre étiquettes, obtient des majorités massives de l’ordre de 80% dans leurs bastions du Choletais et du Segréen. Au total quelques 51 % des inscrits ont voté à droite, ce qui met le Maine-et-Loire au septième rang des départements français qui ont voté à droite.

Le Front populaire ne recueille qu’un siège dans la première circonscription d’Angers. Un problème se pose : peut-on considérer le député Blanchoin comme un élu du Front populaire ? Certes le parti « Jeune République » figure parmi les 98 organisations et partis politiques qui ont adhéré au Rassemblement populaire. Mais Blanchoin était rédacteur du Petit Courrier (droite modérée). C’est par un « oui mais » qu’il a marqué son soutien au Front populaire ; de plus, on voit mal comment l’électorat segréen aurait pu voter pour lui s’il se situait autant à gauche qu’il le prétend.

Le Front populaire obtient le maximum à Angers et sa banlieue, dans le Baugeois, mais le minimum dans le Choletais. Au total, quelques 28 % ont voté Front populaire, la plus grande partie de ces suffrages sont radicaux 21 %, S.F.I.O. 4 %, Parti communiste 3 %. Une frontière politique se dessine très nettement suivant la frontière naturelle séparant en deux le département, au nord suivant la Sarthe, au sud suivant le Layon. Ainsi les voix du Front populaire représentent :

à l’Est

à l’Ouest

Angers I : 54 %

Choletais : 12 %

Baugeois : 49 %

Segréen : 2 %

Saumurois : 25 %

En comparant avec les élections législatives de 1932, on ne peut manquer d’être frappé par le recul très net des radicaux. Pour l’ensemble du département cette baisse est de 7%. Cette baisse est surtout considérable dans l’est du département (Saumurois, perte de 23 %, report au profit de la droite ; Baugeois, perte de 8 %). Cette baisse générale du Parti radical a pour origine la compromission de députés radicaux dans l’affaire Stavisky.

La faible performance du Front populaire en Maine-et-Loire laisse penser que celui-ci n’a pas disposé des conditions sociologiques favorables.

RÉPARTITION DES SIÈGES EN 1936

 

1) Le régime de la propriété.

Son influence peut être très importante. Elle se manifeste en tant qu’elle fonde, diminue ou détruit la liberté individuelle ou morale de l’électeur, en tant qu’elle crée l’indépendance d’une classe sociale ou accentue sa dépendance à l’égard d’une autre. En 1936, le Maine-et- Loire est un pays de petite propriété. Les grands propriétaires y sont rares sauf dans le Segréen et le Choletais. Au contraire, dans le Baugeois et le Saumurois, la petite propriété domine13. Les conséquences sociales et politiques de cette structure foncière sont énormes. La grande propriété fonde la domination de celui qui la détient, mais elle donne en même temps un droit de suprématie que l’opinion populaire ne songe pas à contester. Dans ces provinces, Segréen, Choletais où le métayage et le fermage dominent, le système d’exploitation entraîne l’idée d’une hiérarchie sociale. Le propriétaire n’est pas seulement considéré comme le bailleur de fond mais comme une sorte de seigneur. Les paysans l’appellent « Not Maître » et lui parlent chapeau bas. On accepte son immixtion même dans les affaires qui ne concernent pas la culture. L’indépendance du paysan est impossible. Il craint d’exprimer une opinion politique qui n’est pas celle de son propriétaire. Peut-on retenir ce facteur pour essentiel ? Ce qui n’est pas prouvé, c’est que la grande propriété affecte sérieusement la liberté de vote. Il faut remarquer que l’adoption de l’isoloir, qui est partout utilisé est susceptible d’apporter à l’électeur une certaine garantie. Ce facteur nous paraît insuffisant pour expliquer les votes massifs à droite dans le Segréen et le Choletais.

2) Le facteur religieux.

Devant lui tout s’efface. Le clergé est seul en face du peuple et son ascendant est d’autant plus impossible à combattre qu’il est d’origine morale. Les taux de pascalisants et de messalisants pour le Choletais et le Segréen sont très importants, de l’ordre de 81 % alors qu’ils sont relativement faibles dans le Baugeois et le Saumurois, respectivement 40% et 20%14. L’attitude politique des populations se ramène à leur attitude religieuse. La carte de la propriété ne correspond que très médiocrement à la carte politique, la carte du cléricalisme lui correspond très rigoureusement. La carte de la pratique religieuse est le calque de la carte politique. Le facteur clérical est le seul qui détermine toujours une orientation réactionnaire conservatrice. Mais les masses populaires étaient-elles tellement dépourvues d’idées ou de traditions propres. Ne faut-il entre voir le passé ?

3) Le poids du passé ou le facteur historique.

Ce rappel du passé surgit avec force. Plus d’un siècle et demi après les guerres de Vendée, les vieux quartiers de la Chouannerie et de la Vendée militaire se retrouvent pour s’opposer à toute conquête et à toute affirmation de l’esprit moderne symbolisée par la Révolution et la République.

B. Les grèves de mai-juin 1936

L’occupation des usines et l’agitation révolutionnaire de mai 1936 ne doivent pas appréciées à la légère en Maine-et-Loire. Elles être semblent bien être la manifestation d’un sursaut profond de la population ouvrière. Bien que des conflits sectoriels aient cependant affecté, quelques jours la Manufacture des Allumettes en mars 1936, et les Ardoisières en mai, les salariés angevins n’entrent en action qu’après les accords de Matignon. De juin à juillet, dans tous les foyers industriels du département des grèves éclatent, dont la plus importante par son ampleur sévit dans l’industrie du bâtiment (9 jours, 1.252 grévistes). Les grévistes exigent l’application du contrat collectif de travail. Durant les mois de juin et juillet, pratiquement un salarié sur deux a cessé le travail. Au total, 5.149 travailleurs angevins sur 10.000 salariés, ont participé à ces mouvements brefs souvent marqués par des occupations d’usines, qui réclament le bénéfice des nouvelles conquêtes ouvrières. (Tous les accords sont intervenus par conciliation.)

Les conséquences de ces grèves sont importantes. A la Bourse du travail, les adhésions ne cessent d’affluer. On se syndicalise dans les cantons et les communes purement rurales, comme Longue, Chalonnes et dans certaines villes, on obtient des taux de syndicalisation de 70 %. De plus des professions jusqu’alors tenues à l’écart des syndicats s’ouvrent à la lutte ouvrière et c’est en partie ce qui explique l’importance des grèves en Anjou durant les mois de mai et juin. En fait, cette augmentation qui intervient durant les deux premiers trimestres est à la fois cause et conséquence de ces grèves (cause par l’ampleur, conséquence car les grèves ont provoqué une accélération du taux de syndicalisation). En 1936, le nombre de syndiqués à la C.G.T. est de 20.000 (1935 : 10.000 ; 1934 : 8.000). Cette année 1936 consacre pour le mouvement ouvrier angevin, trois années de lutte syndicale intense. Alors que 1934 et 1935 voyaient des participations de quelques centaines de manifestants, 1936 entraîne tout d’un coup, des milliers de personnes15.

C. Le 14 juillet 1936

II y a 7 000 personnes au meeting de la place de La Rochefoucauld pour célébrer l’alliance des travailleurs avec les classes moyennes. Ceci s’explique ; pour l’immense masse des travailleurs, aucun été n’a jamais valu l’été 1936, celui des réformes sociales et des congés payés.

Mais ces réformes sociales, l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement de gauche suscite la méfiance parmi les milieux financiers. En partie par suite de l’agitation sociale, en partie par suite de l’exploitation qui en a été faite, les sorties d’or se sont accélérées. Le 26 septembre, la convertibilité des billets est suspendue et la loi du 1er octobre 1936 fixe la valeur du franc entre 43 et 49 mg d’or. C’est le franc élastique ou le franc de Auriol. Le Front populaire a lancé un emprunt à long terme ; celui-ci n’a rapporté que quatre milliards et demi. Le 3 octobre 1936, la droite angevine attaque violemment le gouverne ment : « l’emprunt n’a pas réussi, pourquoi ? Parce que la confiance ne règne pas… Ayez pitié de la France, M. Blum allez-vous-en ! ».

C’est dans cette atmosphère qu’intervient la venue de Camille Chautemps le 11 octobre 1936 à Angers, invité par le Comité radical- socialiste. Camille Chautemps répond aux préoccupations de Léon Blum : « Tous les partis prêchent à l’envie l’ordre et l’union du prolétariat avec les classes moyennes. Comment certains d’entre eux ne se rendent-ils pas compte que le spectacle de troubles sociaux prolongés crée à l’intérieur une atmosphère de panique, de haine sociale qui paralyse toute reprise des affaires et compromet à l’extérieur, le prestige et la sécurité de la France. »

Les conséquences de ce congrès sont importantes au niveau de la politique intérieure du pays, le congrès de la Fédération radicale- socialiste du Centre et de l’Ouest assure le gouvernement de Front populaire de son soutien.

En cette fin d’année 1936, le calme règne en Maine-et-Loire, plus d’occupations d’usines par les grévistes. Le département se tient donc en dehors de l’agitation qui règne dans l’ensemble du pays.

  1. LES DÉSILLUSIONS JANVIER-1937 – NOVEMBRE 1938

Cette année 1937 marque le combat en Maine-et-Loire qui s’en gage pour le respect des Accords Matignon et le réajustement des salaires. C’est l’objectif primordial des syndicats. Mais face à ce combat, aux revendications des syndicats, la population ouvrière ne suit plus. Elle a perdu son enthousiasme, son espoir dans le gouvernement de son choix. Elle sent qu’elle ne pourra plus rien obtenir. Il n’y a plus de mouvement spontané. L’élan populaire est brisé.

Quelles en sont les raisons ?

A. Élan populaire perturbé par la situation économique et la nécessité de la pause

Pourtant en ce début 1937, Bertron, secrétaire général de la C.G.T. réaffirme son soutien au gouvernement de Front populaire. «Ce n’est pas nous qui le feront trébucher, et tomber. » II réclame en outre le respect de l’Accord Matignon, le réajustement des salaires. D’août à décembre 1936, la hausse du coût de la vie a été de 12 %. Le Front populaire avait pour devise « ni inflation, ni dévaluation ». La doctrine économique du Front populaire était d’accroître le pouvoir d’achat et diminuer ainsi le prix de revient. Pour relever la production, il fallait non pas baisser les prix mais relever les revenus par la hausse des salaires. Le plan de reflation échoue puisque la demande supplémentaire fait monter les prix au lieu d’accroître la production. De là l’augmentation du pouvoir d’achat des travailleurs est annulée. Cette hausse des prix entraîne un mécontentement général. Les ouvriers se jugent frustrés de leur victoire du fait de la hausse des prix. Aussi l’agitation ouvrière qui avait cessé dans le département en juillet 1936, reprend dès janvier 1937. Le 27 janvier, dans un meeting à la Bourse du travail d’Angers, ce sont les employés qui réclament le réajustement des salaires en fonction de l’article 3 de la convention collective qui prévoit un examen nouveau des salaires si les circonstances économiques l’exigent et s’opposent au patronat qui se réfugie dans la procédure d’arbitrage, prévue par la loi du 11 décembre 1936.

Au cours de ces deux années 1937-1938, les syndicats ne cessent de réclamer en vain un réajustement des salaires. La loi des 40 heures rencontre de nombreux obstacles quant à son application. De son côté, dans une lettre adressée au préfet, la Chambre syndicale des limonadiers, débitants, hôteliers, restaurateurs, écrit : « L’application de la semaine des 40 heures se heurte à deux impossibilités matérielles car pour y parvenir, il faut recruter 60.000 employés supplémentaires, or, ceux-ci n’existent pas puisque les statistiques de chômage n’accusent que 11.000 chômeurs dans l’hostellerie et que parmi eux, beaucoup ont trouvé des emplois saisonniers, impossibilités financières ensuite car ces 60.000 employés nécessaires existeraient- ils que nous ne pourrions pas les payer. »

Les impossibilités et les violations à cette loi des 40 heures sont flagrantes et répandues en Maine-et-Loire. (Ex. la maison Excelsior, le 12 février, arrêt de travail d’une heure.) Mais plus encore que partout ailleurs, l’obstination du patronat se pose avec une grande acuité dans l’industrie de la chaussure du Choletais. Les syndiqués cégétistes ne peuvent réclamer l’application des Accords Matignon sans être sanctionnés par des mises à pied.

Quelques lueurs doivent être apportées à ce tableau noir. Ainsi aux Établissements Bessonneau d’Angers, la convention est signée et renouvelée avec une augmentation de salaire de l’ordre de 34 % par rapport à 1935. 63 conventions ont été signées, quatre accords de salaires.

Mais parallèlement à l’action syndicale et revendicative, se poursuit l’action du Comité de rassemblement populaire. Mais ces actions ne peuvent être dissociées en Maine-et-Loire car le mouvement syndical constitue le véritable ciment du Rassemblement populaire.

Au début de mars 1937, le Comité de rassemblement populaire prend fermement position en faveur des républicains dans le conflit espagnol. Il encourage les Espagnols et la Brigade internationale à lutter pour la liberté. Devant les violations répétées à la non-intervention par Hitler et Mussolini « demande au camarade Blum dans l’intérêt de la paix de reconsidérer le problème espagnol ». La Confédération des syndicats ouvriers de Maine-et-Loire dans son compte solidarité envoie 5 102,50 F aux Espagnols et consacre 160 F aux réfugiés. (Cela représente 15 % du compte solidarité.)

Pourtant cette entente n’est qu’apparente. Des dissensions se font jour. Au cours d’une réunion de la commission administrative de la C.G.T. fin avril, le secrétaire de l’Union locale de Cholet, se plaint d’être le parent pauvre et réclame un deuxième membre permanent. Dans cette région de Maine-et-Loire l’autorité de la C.G.T. est battue en brèche par les syndicats chrétiens. Ceux-ci s’imposent dans le Choletais, prétendant être le syndicat le plus représentatif. Ce membre permanent est refusé.

En outre, les difficultés financières se posent avec une vive acuité au sein de l’Union départementale. Une augmentation des cotisations est nécessaire pour assurer l’avenir du journal le Travail. Mais un vote repousse cette augmentation. Cette décision est grave dans la mesure où elle met en danger l’avenir du journal seul moyen de propagande écrite.

B. Pourtant le 1er mai 1937 ,

se manifeste le dernier sursaut de l’élan populaire. Il semble que ce 1er mai ait revêtu un caractère tout particulier, par son ampleur, par sa dynamique interne, son effervescence populaire. Place de La Rochefoucauld à Angers, le nombre de participants est évalué à plus de 15.000, qui défilent ensuite jusqu’à la place André-Leroy. Il est vrai que l’Union locale revendique alors 20.000 adhérents. Par cette manifestation, les objectifs du comité de Rassemblement populaire étaient triples :

célébrer la victoire ouvrière sur le patronat ;

assurer le gouvernement de son soutien ;

engager le gouvernement à poursuivre dans la voie des réformes.

Ce qui est sûr, c’est que jamais encore, on n’avait vu pareille foule ouvrière rassemblée, pas même au lendemain de la Libération. « Pour ceux qui comme moi, ont assisté et participé à ce rassem blement, le souvenir en est inoubliable »16.

C. Les réactions à la chute du gouvernement Blum

Le 22 juin 1937, Léon Blum remet sa démission devant le refus du Sénat de lui accorder les pleins pouvoirs financiers. Les conséquences de cette chute sont d’une importance primordiale en Maine- et-Loire. Les forces vives du Comité de rassemblement populaire sont dépitées, déçues de voir démissionner un gouvernement dans lequel elles avaient foi et qu’elles croyaient invulnérable. Une déclaration de la commission administrative de la C.G.T. est à cet égard très significative. « La commission administrative adresse au président Blum et au gouvernement de front populaire amené à démissionner par l’hostilité déclarée du Sénat, l’expression de sa solidarité pour l’ordre accompli et qui doit être poursuivi. »

Cette démission sonne le glas de l’élan populaire en Maine-et- Loire. Les forces d’union sont totalement désorganisées. C’est en même temps la perte de foi, d’espoir dans le gouvernement.

Pourtant les cantonales de octobre 1937 raniment quelque peu les polémiques. Sur 36 sièges à pourvoir, 8 reviennent aux radicaux dont un aux communistes (Baugé), 28 au parti de droite (U.R.D.). La frontière politique continue de souligner les différences d’opinions entre régions.

D . Élan populaire perturbé par l’assouplissement à la loi des 40 heures

Que reste-t-il du Front populaire ? La majorité obtenue par le gouvernement Daladier prouve qu’il n’est plus un gouvernement de Front populaire. La confiance des masses dans le Front populaire est gravement atteinte, ruinée par les déceptions successives. On entre dans une ère de déchirements. En dépit de la protestation des syndicats, Daladier annonce le 21 août 1938 qu’il a décidé d’assouplir loi des 40 heures pour améliorer la production. Dès 30 août, l’Union locale des syndicats lui écrit : « Au nom des 16.000 ouvriers et employés syndiqués d’Angers, le bureau des syndicats confédérés tient à s’élever de la façon la plus vive contre le passage de votre discours. L’émotion considérable ressentie dans la classe ouvrière est l’indice certain que les travailleurs de ce pays ne comprendraient pas au moment où le chômage sévit avec une intensité accrue, que l’on puisse revenir sur les améliorations sociales acquis es. » Ce mouvement de protestation au discours de Daladier s’étend à toutes les unions locales, et les meetings se multiplient. Cependant le parti radical soutient le gouvernement dans sa politique économique et déclare : « Oui M. Daladier a raison. »

Le temps a passé. Devant les menaces de guerre, Daladier se rend le 30 septembre 1938 à Munich et signe un accord qui divise la gauche, les communistes s’y opposant, les radicaux l’approuvant. La fin du cauchemar est accueillie par les Angevins avec une joie intense. Un hommage angevin est adressé au président Daladier par les membres du Parti radical. «Interprétant les sentiments de la population angevine, vous prie d’agréer leur bien vive reconnaissance pour votre ténacité dans les efforts de paix. »

La situation économique et financière s’est aggravée. Le 1er novembre, Daladier achève le tournant politique en remplaçant Marchandeau par Paul Reynaud aux Finances. Le 13 novembre, Paul Reynaud publie une série de décrets-lois. Ils augmentent les impôts, réglementent les heures supplémentaires, suppriment ce que Paul Reynaud avait appelé «la semaine des deux dimanches».

Les communistes dénoncent les décrets de misère, sous leur pression, la C.G.T., dont le congrès se tient à Nantes le 15 novembre et les jours suivants, se laisse entraîner dans une grève générale de protestation.

La grève du 30 novembre 1938 ne fut pas générale en Maine-et- Loire. A Angers, le nombre de grévistes des usines Bessonneau s’est élevé à 1.519 soit 62 % de l’effectif. Dans le Segréen 206 personnes ont fait grève aux mines de fer. 77 % des ouvriers ardoisiers ont suivi ce mouvement de protestation.

Pourquoi cette grève fut-elle un échec en Maine-et-Loire ? Il est certain que l’ordre de réquisition décidé par le gouvernement qui atteignait l’ensemble des agents du secteur public, a eu une influence décisive sur le mouvement de grève. Les allumettiers de la manufacture de Trélazé qui tombaient sous le coup de la réquisition allèrent tous à leur travail. La crainte de sanctions a influencé les travailleurs. Pas à tort du reste, puisque les Établissements Bessonneau ont pris de telles mesures. Les personnes qui ne s’étaient pas présentées le 30 étaient considérées comme ayant rompu leur contrat de travail. Elles pouvaient toutefois solliciter par lettre un nouvel embauchage.

Devant la pression des pouvoirs publics, la grève a échoué. La puissance de la C.G.T. qui depuis le début de 1936 dominait la vie politique s’effondre d’un coup aux yeux de tous. Ainsi la C.G.T. qui avait atteint son point le plus fort en 1936 avec 20.000 adhérents est sur le déclin. Ses effectifs qui avaient déjà commencé à décroître en 1937 tombent à 13 851 en 193917.

Humiliés de leur défaite, les militants syndicaux ont tendance à s’enfermer dans un isolement amer.

CONCLUSION

De ce qui fut pour certains une grande espérance, de ce qui fut pour d’autres, une dangereuse aventure quel est le bilan final ? Et surtout quel est le bilan économique et social ? Le pouvoir d’achat de la classe ouvrière a-t-il augmenté ?

La Commission départementale du coût de la vie réunie en mai 1938, a établi cette augmentation en pourcentage. De mai 1936 à mai 1938, la hausse des prix a été de 42,8 %. Pour la même période l’augmentation des salaires aux Établissements Bessonneau n’a été que de 34 %. Pour ces salariés, la baisse du pouvoir d’achat a été de 8,8 %. Pour les ouvriers ardoisiers de Trélazé cette baisse a été moindre : 5,8 %.

Donc, en Maine-et-Loire, cette baisse du pouvoir d’achat varie en fonction des entreprises.

Durant la même période, l’application des 40 heures a eu des répercussions néfastes sur la production. Ainsi aux Ardoisières de Trélazé, celle-ci a diminué de 15 %. En 1938, l’ouvrier ardoisier produit 80 % de ce qu’il produisait en 1935.

Néanmoins, les réformes sociales, semaine des 40 heures, congés payés, sont ancrées à jamais dans les mentalités. Cependant, les masses qui avaient été satisfaites en juin 1936 des avantages matériels sont déçues lorsqu’elles constatent que les prix montent et que le pouvoir d’achat diminue.

C. T.

1. Mémoire de maîtrise (juin 1977), directeur : M. Pedroncini.

2. Geoffre (Marquis de) : L’agriculture en Maine-et-Loire en l’an de crise 1935, Angers, 1936.

3. Lebrun (F.) : Histoire d’Angers, Privat, 1975.

4. Archives départementales de Maine-et-Loire, série T – la presse.

5. Lefranc (G.) : Histoire du Front populaire, Payot, 1974.

6. 1200, nombre donné par le Petit Courrier (droite) ; 1 500, nombre donné par le Réveil des travailleurs (mensuel syndicaliste).

7. Lebrun (F.) : Histoire d’Angers, Privat, 1975.

8. Archives départementales de Maine-et-Loire : série M – l’administration préfectorale.

9. Résultats des élections obtenus dans la presse.

10. Résultats des élections obtenus dans la presse.

11. Résultats des élections obtenus dans la presse.

12. Cf. carte.

13. Dubreuil (J.) : Économie rurale de l’Anjou, Angers, 1942.

14. Boulard (F.) : « La pratique religieuse en France dans les Pays de la Loire » in revue Annales, n° juillet-août 1976.

15. Poperen (M.) a eu la gentillesse de me remettre ses notes établies à partir des livres de comptabilité de la C.G.T. (Bourse du travail d’Angers).

16. Poperen (M.), témoignage vécu.

17. Archives départementales de Maine-et-Loire : série M – administration préfectorale.

 

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