Année 5. Numéro 95. 05/09/1913. sur le congrès anarchiste F.C.A.R.

Extrait de La Vie Ouvrière, n°95 du 05 septembre 1913, rubrique « Notes et Documents », p310-313, sur Le Congrès anarchiste.

« Le Congrès anarchiste. Il s’est tenu, grande salle de la maison des syndiqués du XVe, les 15, 16 et 17 août. Soixante groupes, dont 36 de province et 24 de Paris, y étaient représentés. Vingt-quatre camarades y avaient adhéré individuellement. Le seul fait qu’il ait pu se tenir, que ses discussions se soient poursuivies sans trop d’orages est un résultat dont les militants anarchistes ont raison de se réjouir.

Il n’est pas douteux que si les anarchistes avaient pu ou su se donner plus tôt une organisation et compris l’intérêt qu’il y a à se rencontrer dans des congrès pour y échanger périodiquement ses vues, leur action aurait été plus profonde et leur influence plus large, au moins dans les pays latins.

Et ce ne sont pas les syndicalistes qui auraient trouvé à redire. Les anarchistes ont le même droit que les socialistes parlementaires à tenir des congrès. Mais, que ce soit pour y préciser leur besogne propre, leur propagande particulière ! D’ailleurs la remarque en fut excellemment faite, au cours de ce congrès, par le camarade Le Gall, de Brest : « Si un congrès de P.S.U. s’était permis de discuter de la vie intérieure de la C.G.T., comme nous le faisons depuis des heures, nous le lui aurions reproché avec indignation. Il est inadmissible que nous nous immiscions dans le fonctionnement d’une organisation qui n’est pas spécifiquement anarchiste. »

Et du coup le Dr Pierrot remit dans sa poche le fifre avec lequel il avait commencé à sonner l’assaut contre les fonctionnaires syndicalistes :

Le syndicalisme me semble s’acheminer vers un néo-réformisme très dangereux. Il ne faut pas que l’organisation légère, variable, changeante, prenne des formes fixes et bureaucratiques.

Certains restent ancrés dans leur fauteuil et c’est à nous, camarades, de les déboulonner.

Ah ! le syndicalisme passa quelques vilaines heures l’après-midi du samedi 16. La discussion avait débuté sur un rapport de Lagru, qui concluait ainsi :

La marche des militants de la C.G.T. vers un réformisme avéré a éclairé les anarchistes. Ceux-ci doivent désapprouver une attitude qui s’est soudain fait jour à la conférence des Bourses ; attitude qu’on peut qualifier de trahison. Si cela est nécessaire, envisageons même la scission.

Rien que cela. Puis Ernest Girault, l’ex associé de Lorulot à la Colonie de Saint-Germain, revenu, avec sa belle âme et son allure de parfait cabot, des régions désolées de l’individualisme, fonça contre la C.G.T. Je ne comprends pas que la Bataille n’ait pas enregistré une de ces déclarations et qu’elle ne l’ait pas invité à en fournir la preuve. Il ne sert à rien de paraître ignorer des calomnies, même les plus grotesques. Elles font trop souvent leur chemin et causent des ravages. Cette calomnie, elle a d’ailleurs été épinglée en ces termes dans la Petite République du 17 août :

Véhémentement, M. Girault, ancien secrétaire de la Commission confédérale de la grève générale, accuse la C.G.T. d’avoir étouffé celle-ci. « Il y a eu, dit-il, un acte de véritable trahison d’accompli au moment des troubles d’Hennebont. »

De quelle grève d’Hennebont parle Girault ? De celle de 1903 ou de celle de 1906 ? Quel acte de trahison vise-t-il ? Quels délégués confédéraux s’en seraient rendus coupables ? Comment a-t-il pu garder le silence là-dessus pendant sept ou dix ans ? Il est nécessaire qu’il s’explique. L’homme qui affirmait en plein congrès : « Je ne pourrai apporter des preuves de trahison » ne s’y refusera pas, j’espère. Je mets la Vie à sa disposition pour la publication de « ses preuves ».

Tout cela n’était pas encore suffisant. Un membre de la Commission actuelle de la grève générale, Togny, apportait son témoignage à l’appui de l’affirmation de Girault que la C.G.T. ne voulait pas s’occuper de la grève générale. Il est facile de faire son mea culpa sur la poitrine des autres. Mais Togny avait un moyen pratique de raviver l’activité de la Commission : c’était de saisir le Comité Confédéral de ses griefs. Pourquoi, diable, ne l’a-t-il jamais fait ? Et comment s’expliquer que lui, si dévoué à la propagande de la grève générale, ait contribué à désigner un poivrot comme secrétaire de cette Commission ?

Je vous laisse à imaginer l’impression que créait cette série de déclarations de Lagru à Pierrot en passant par Girault et Togny ; il ne manquait là que Janvion. Mais son esprit y était ; il planait sur le congrès et je me demandais : Il est devenu ça l’anarchisme ?

D’autres voix, heureusement, allaient se faire entendre. A vrai dire, un peu tardivement, mais elles parvenaient à crever ce nuage de sottises calomnieuses. Des délégués de province, pour la plupart : d’abord Le Gall, puis Moreau de Nantes, Dhooghe, de Reims, Broutchoux, Sébastien Faure, etc.

Dhooghe, notamment, ne craignait pas de dire :

Il est profondément injuste de toujours critiquer les fonctionnaires syndicalistes ; ils ont fait tout leur devoir et ne sont pas responsables de la passivité de la masse.

Ces paroles portèrent, et quand, revenant à la charge, il déclara :

Chargeons de moins de responsabilité les permanents ; ne nous amusons pas au jeu de les renverser afin de prendre leurs places ; poursuivons notre propagande d’idées et travaillons à ce que le mouvement vienne d’en bas.

Pierrot lui-même s’inclina pour saluer au passage une bonne idée.

La journée du lendemain devait réviser sur d’autres points les condamnations proférées contre le syndicalisme. C’était d’abord Grave, dans son rapport sur l’antimilitarisme, qui mettait en garde contre les agitations naïves du genre de celles du sabotage de la mobilisation imaginée il y a quelqeus mois par le Mouvement anarchiste. Vous vous souvenez ? Le moyen de rendre un canon inutilisable, ce moyen renouvelé du boniment du marchand de poudre à punaises sur le marché de campagne : vous prenez délicatement la punaise entre le pouce et l’index ; vous lui ouvrez le bec et y faites tomber quelques grains de ma poudre.

C’était ensuite la discussion sur l’insoumission. Nous devions aller de surprise en surprise. Quel spectacle nous était offert ? La motion votée au dernier congrès des Jeunesses syndicalistes était représentée au Congrès anarchiste, qui la repoussait. Pourtant, n’avait-on pas vertement attrapé les syndicalistes qui avaient regretté, dans la Bataille, la besogne faite au congrès des Jeunesses syndicalistes ? Et cette besogne était nettement caractérisée par la motion sur l’insoumission. Que j’ajoute, à l’intention des collaborateurs des Temps Nouveaux, que si nous ne sommes pas toujours très fiers des Jeunesses syndicalistes parisiennes, c’est que nous avons quelques raisons. Je ne leur citerai qu’un fait : Dernièrement dans une Jeunesse, je ne fus pas peu étonné de devoir bataillé deux heures durant contre l’illégalisme. Et ce n’est pas, hélas ! la seule Jeunesse atteinte de ce mal.

Souffrez donc que nous lui résistions, comme vous faites effort vous-mêmes pour y résister dans les milieux anarchistes. Mais ce n’est pas tout que de résister aux soi-disant individualistes, et c’est là cependant une tâche urgente ; il faudrait bien, Pierrot, ne pas contribuer, même involontairement, à les fabriquer. – P. Monatte. »

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