numéro 033. mai/juin 1930. Femme, ton corps est à-toi.

 Texte paru dans le Combat Syndicaliste, organe de la C.G.T.S.R., n°33, mai-juin 1930. BDIC/Université Paris X-Nanterre. Voir également le tract manuscrit d’appel aux deux réunions publiques de Huart Lucien (et pas Léon).

« Femme, ton corps est à toi !

Profitant de la présence du camarade Huart, le syndicat des ardoisiers de Trélazé l’avait chargé de faire deux conférences, l’une à Angers et l’autre à Trélazé, sur le sujet suivant : Femme, ton corps est à toi !

Le syndicat s’est occupé sérieusement et à plusieurs reprises de l’important question de la libération des femmes, tant au point de vue matériel que moral. Différents rapports furent adressé à la CGTSR et furent discuté au C.C.N. Et dans les congrès. Il est donc nécessaire, maintenant que les résolutions ont été adoptées, de faire connaître notre point de vue au public.

Tout d’abord, le conférencier brossa le tableau de la société moderne et démontra que le véritable bonheur n’existant nulle part ; cependant les travailleurs sont, de beaucoup les plus malheureux. Or, dans chaque classe, dans chaque catégorie, nous constatons que les plus grandes injustices, les peines les plus dures sont supportées par la femme.

A l’usine, aux champs, au bureau, la femme exécute un travail aussi pénible que celui fait par les hommes, mais sa tâche ne s’arrête pas là, elle doit recommencer une autre journée arrivé chez elle.

L’industrie vieillit la femme prématurément, celle qui à le malheur d’être jolie, est en butte à toutes les sollicitations grossières des mâles qui détiennent l’autorité. Au point de vue intellectuel, malgré certaines apparences, on s’efforce de maintenir la femme à un niveau inférieur ; dans la plupart des cas, le père, le compagnon, lieu interdisent de s’occuper de certaines questions et on l’envoie « raccommoder les chaussettes ». Au point de vue sexuel la liberté à peu près complète existe pour l’homme. En revanche, la femme est surveillée, brimée ; les lois, l’opinion publique, une conception bizarre de l’honneur la condamnent si elle écoute les appels de la nature.

On parle des conquêtes de la femme, en réalité, la femme moderne a juste acquis le droit de se faire exploiter ; il est vrai qu’elle pourra bientôt voter ! Maigre compensation.

L’Église est la grande coupable en la circonstance, elle a toujours méprisé la femme et les docteurs1 ont été jusqu’à se demander si la femme avait une âme !

Ce que la Société demande surtout à la femme, c’est de faire des enfants, de la chair à canon et à travail. Pour l’y obliger, on lui interdit de disposer de son corps. L’orateur lit l’article 3172, condamnant l’avortement et examine si le législateur a bien atteint le but qu’il qu’il se proposait. Le législateur a été influencé par l’Eglise, qui interdit formellement l’avortement et, aux yeux du législateur, c’est un crime de supprimer un enfant pendant sa vie intra-utérine, car il a déjà une capacité civile.

Le conférencier démontre que, dans certains cas, le crime est bien plus important de laisser venir un enfant au monde voué à une vie de misère, que de la supprimer alors qu’il est encore inconscient et qu’un amas de cellules.

Du reste, la loi n’a jamais empêché les tentatives d’avortement et l’article 317 fait l’affaire des « faiseuses d’anges » en leur permettant d’exploiter les malheureuses qui ont recours à leurs « bons soins ».

Les résultats sont désastreux, les femmes sortent bien souvent de leurs mains ou infirmes, ou blessées à mort. Dans un cas comme dans l’autre, la source de la maternité est tarie. Donc, le législateur s’est lourdement trompé, la loi produit un effet diamétralement contraire à celui escompté ; il faut donc l’abroger, au nom de la liberté et du simple bon sens. Les pays qui autorisent aux femmes la liberté complète de procréation s’en sont bien trouvés.

L’orateur examine ensuite la loi réprimant la propagande anti-conceptionnelle. Votée après la guerre, alors qu’il fallait réparer les pertes occasionnées par la tuerie, elle apparaît comme l’œuvre d’ignorants ou d’hypocrites. Le législateur prétend qu’il n’y a pas assez de naissances en France ; or, les statistiques officielles nous prouvent qu’il naît autant d’enfants en France qu’ailleurs mais qu’il en meurt beaucoup plus. La statistique de la clinique [Beaudelique?] nous apprend que dans les classes très pauvres, il meurt 78 % d’enfants nourris au biberon par des étrangères !

Il faut donc une agitation intense se fasse en vue d’obtenir l’abrogation de cette loi scélérate.

Enfin l’orateur met en lumière les crimes des lois et des préjugés et stigmatise les tristes moyens employés par l’autorité pour porter remède à une situation crée par sa bêtise et sa rapacité.

Il faut donc conquérir la liberté complète pour les femmes ; celles-ci doivent surtout compter sur elles-mêmes ; pour être plus fortes, elles doivent s’organiser ; pour faire disparaître les barrières qui existent entre les deux sexes, elles doivent aller dans les organisations de lutte où elles batailleront aux côtés des hommes.

Trop souvent, elles découragent leur compagnon lorsqu’il milite, elles doivent le réconforter au contraire ; de leurs côtés les hommes doivent tout tenter pour intéresser les femmes à l’action.

En terminant, l’orateur nous dit que la liberté complète ne peut pas exister en régime capitaliste ; il faut donc le détruire et en établir un plus parfait. Pour y parvenir, l’aide des femmes sera indispensable.

Que les travailleurs tournent leurs yeux vers les organisations anti-autoritaires, qu’ils comprennent la nécessité de l’action syndicale telle que le préconise la CGTSR et qu’ils apportent toute leur activité au service de notre idéal, de cette façon seulement, ils parviendront à disposer librement d’eux-mêmes.

Cette conférence fut écoutée avec attention, tant à Trélazé qu’à Angers, il est a noté que la classe moyenne s’est d’avantage intéressé à la question que la classe ouvrière, aucune contradiction ne fut apportée.

Il serait souhaitable que les autres organisations s’occupent elles aussi de cette importante question ; nous pourrions ainsi établir un courant d’opinion assez fort pour nous permettre d’atteindre le but fixé par la décision des congrès de la CGTSR.

1 Les docteurs de l’Eglise est une expression désuète dorénavant. Il s’agit chez les catholiques de personnes dont on considère qu’ils ont une connaissance exceptionnelle dans le domaine de la théologie (connaissance des textes sacrés, des dogmes et de leurs interprétations) et dont on reconnaît l’autorité. L.B.

2 Code Pénal, 1810, Article 317. « Quiconque, par aliments, breuvages, médicaments, violences, ou par tout autre moyen, aura procuré l’avortement d’une femme enceinte, soit qu’elle y ait consenti ou non, sera puni de la réclusion.
La même peine sera prononcée contre la femme qui se sera procuré l’avortement à elle-même, ou qui aura consenti à faire usage des moyens à elle indiqués ou administrés à cet effet, si l’avortement s’en est ensuivi.
Les médecins, chirurgiens et autres officiers de santé, ainsi que les pharmaciens qui auront indiqué ou administré ces moyens, seront condamnés à la peine des travaux forcés à temps, dans le cas où l’avortement aurait eu lieu.
 »

Il faut compléter par la loi réprimant la provocation à l’avortement et à la propagande anticonceptionnelle –
JO du 1er août 1920, votée le 31 juillet 1920.

« Article 1er. – Sera puni d’emprisonnement de six mois à trois ans et d’une amende de 100 francs à 3000 francs quiconque :

Soit par des discours proférés dans des lieux ou réunions publiques ;

Soit par la vente, la mise en vente ou l’offre, même non publique ou par l’exposition, l’affichage ou la distribution sur la voie publique ou dans les lieux publiques, ou par la distribution à domicile, la remise sous bande ou sous enveloppe fermée ou non fermée, à la poste ou par tout autre agent de distribution ou de transport, de livres, d’écrits, d’imprimés, d’annonces, d’affiches, dessins, images et emblèmes ;

Soit par la publicité de cabinets médicaux ou sois disant médicaux.

Aura provoqué au crime d’avortement alors même que cette provocation n’aura pas été suivie des faits.

Article 2. – Sera puni des mêmes peines quiconque aura vendu, mis en vente, distribué ou fait distribué, de quelque manière que ce soit, des remèdes, substances, instruments ou objets quelconques, sachant qu’ils étaient destinés à commettre le crime de l’avortement, lors même que cet avortement n’aurait été ni consommé, ni tenté et alors même que ces remèdes, substances, instruments ou objets quelconques proposés comme moyens d’avortement efficaces seraient, en réalité, inaptes à les réaliser.

Article 3. – Sera puni d’un mois à six mois de prison et d’une amende de 100 francs à 5000 francs quiconque, dans un but de propagande anticonceptionnelle aura, par un des moyens spécifiés aux articles 1er et 2, décrit ou divulgué, ou offert de révéler des procédés propres à prévenir la grossesse, ou encore à faciliter l’usage de ces procédés.
Les mêmes peines seront applicables à quiconque, par l’un des moyen énoncés à l’article 23 de la loi de 29 juillet 1881, se sera livré à la propagande anticonceptionnelle ou contre la natalité.

Article 4.- Seront punies des mêmes peines les infractions aux articles 32 et 36 de la loi du 21 germinal an XI, lorsque les remèdes secrets sont désignés par les étiquettes, les annonces ou tout autre moyen comme jouissant de vertus spécifiques préventives de la grossesse alors même que l’indication de ces vertus ne seraient que mensongère.

Article 5.- Lorsque l’avortement aura été consommé à la suite des manœuvres ou des pratiques prévues à l’article 2, les dispositions de l’article 317 du Code Pénal seront appliquées aux auteurs desdites manœuvres ou pratiques.

Article 6.- L’article 463 du Code Pénal est applicable aux délits ci-dessus spécifiés.

Article 7.- La présente loi est applicable à l’Algérie et aux colonies, dans les conditions qui seront déterminées par des règlements d’administration publique. »

 

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