2e série. numéro 054. Dimanche 31/10/1897. grèves de Trélazé, affrontement et exploitation à la Forêt

Extrait du Père Peinard n°54, du 31/10/1897. Deuxième série. page 5.

« Les grévistes sont toujours d’attaque : chaque jour ils se réunissent à la salle de la Maraîchère et y discutent non seulement les questions terre à terre de la grève, mais aussi le nouvel alignement social d’où l’exploitation humaine sera de sortie.

La question du capital revient quotidiennement sur le tapis et les copains qui ont la langue bien pendue expliquent que la société actuelle n’est que le vol organisé ; que c’est la propriété et l’autorité qui engendrent les maux, les souffrances, les crimes et les hontes de toute sorte ; et que ça sera ainsi tant qu’on sera sous la coupe de la propriété individuelle.

Et quand un bon fieu a jaspiné en français, un autre le remplace et parle en breton.

Turellement, Trélazé est toujours en état de siège ; les pandores et les dragons caracolent dans les rues, fonçant sur le populo chaque fois qu’ils en trouvent l’occasion.

Mais, ça n’influence pas les carriers ! Ainsi, la semaine dernière, les exploiteurs avaient fait apposer des affiches menaçant les grévistes qui ne reprendraient pas le travail jeudi d’être saqués par la Compagnie. Et, pour compléter la manœuvre, les gendarmes étaient postés un peu partout pour protéger les faux-frères qui radineraient au turbin. Puis à l’heure de la prise du travail, les cloches ont tinté, comme elles tintaient avant la grève.

Mince de veste, pour les jean-foutre !

Quand les copains on vu de quoi il retournait, ils ont sonné du clairon par les rues et donné rendez-vous à la Maraîchère.

La salle était archi-bondée et la grève a été acclamée avec un enthousiasme faramineux.

A la sortie de la réunion c’est en une grande bande, clairon en tête, que les prolos ont rappliqué chez eux. Y avait un populo monstre !

Tellement que les pandores en ont eu la chiasse et ils ont abandonné leurs poste en se sauvant kif-kif des lapins qui auraient un furet aux trousses. Et comme toute cette racaille glissait sur l’ardoise, y’en a plus d’un qui a posé son flingot ou son revolver pour s’esbigner plus vite.

Et les grévistes reluquaient le spectacle, en se gondolant comme des baleines !

Par exemple, c’est les grosses légumes qui l’ont trouvé mauvaise : le soir, ils ont fait renforcer et doubler toutes les patrouilles et, sur l’emplacement d’où les pandores s’étaient tireflûtés, une bande de galonnards s’étaient postés, longue-vue sur le nez et sabre au clair.

A un autre endroit, les grévistes ont été attaqués par une patrouille de gendarmes.

Les carriers ont répondu à l’attaque par des coups de cailloux ; alors les pandores ont dégaîné, mais leurs grands sabres ne leurs ont guère servi qu’à se garantir la hure des morceaux de brique qui pleuvaient sur leur trognes.

Les grévistes s’étaient retranchés dans un jardin et là, à l’abri d’une muraille, ils tapaient dur et ferme sur les cognes qui ont lâché pied, sous une grêle de schistes.

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Tout ça prouve que les ardoisiers ont du poil au ventre, nom de dieu !

Et comme de partout leur tombent des secours, ils ne sont pas prêts de caner ; l’autre jour, de Misengrain, il leur est arrivé 2.000 kilos de pains, des boîtes de conserves et de sardines, des fromages entiers, de spots de rillettes, etc.

Par exemple, y a des vaches d’exploiteurs que cette solidarité défrise.

Ainsi, à La Forêt, un patelin d’ardoisiers qui perche aux environs, le patron ne veut pas que ses prolos aident les copains de Trélazé.

Il a du culot, le galeux, hein !

Si étrange que ça semble, cette charognerie lui est facile : dans le pays, les ouvriers ont rarement du pognon ; ils se fournissent tout ce dont ils ont besoin au Dépôt de la carrière, -qui est tenu par le singe, – on marque leurs dépenses et on les leur retient à la page.

C’est dire que les pauvres gas sont complètement dans les griffes du capitalo !

Et la bourrique ne se gêne pas : l’autre jour, il a refusé du pain à ses ouvriers, – malgré qu’ils aient de l’argent de gagné !- parce qu’il a supposé que ce bricheton devait être expédié aux grévistes de Trélazé.

Nom de nieu, ce n’est plus de l’exploitation capitaliste, -c’est de l’esclavage, tout ce quil y a de plus carabine !

Et on prétend que nous sommes en république ! »

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